Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
le blog pas glop
20 août 2006

annabelle

ANNABELLE


S'il est un personnage dans l'univers houellebecquien qui cède à la tentation romanesque, c'est bien celui d'Annabelle, la belle lumineuse des “Particules Elémentaires”. Annabelle ressemble à une princesse de conte de fées. Yeux verts, longue chevelure blonde, elle a cette beauté “qui rend les hommes silencieux sur son passage”. On songe à Hélène de Troie, et à la stupeur des vieillards à sa vue. Cependant, le conte de fées tournera vite au portrait tristounet d'une jeune femme qui a raté sa vie. C'est peut-être parce que Houellebecq l'a voulue exceptionnellement belle que ce gâchis nous semble plus cruel encore. “Sans beauté, une jeune fille est malheureuse, car elle perd toute chance d'être aimée.” Le malheur d'être aimée pour sa beauté n'est pas pour autant source de bonheur. Ainsi sont les femmes, ainsi sont les hommes en général. Ainsi écrit Michel Houellebecq.

art_paintings5

Ce n'est que peu à peu qu'Annabelle prend conscience qu'elle est belle, la malheureuse. Au fur et à mesure que celui qu'elle aime, le seul qu'elle aime, qu'elle aimera, Michel, son petit fiancé du collège, se tait, tandis que les dragueurs parlent. Michel ne se tait pas parce qu'elle est belle. Mais parce qu'il n'a pas envie d'aimer. Ou parce qu'il ne la voit pas. Ou parce que la beauté lui est indifférente. A dire vrai, on ne sait pas pourquoi Michel se tait.
Ils se sont connus au collège. Au milieu des années 70. En pleine libération sexuelle. Annabelle est élevée au sein d'une famille heureuse ( comme la Valérie de Plateforme ) Ce type de famille au sein de laquelle Michel ( et l'auteur ) n'a pas grandi. Des parents sans dispute... Des parents présents. Annabelle pensait tout le temps à Michel. Etait heureuse quand elle le voyait. Elle avait envie de lui parler. Elle avait une grande confiance en lui. La mère de Michel l'avait croisée, une fois. Par hasard. Avec de la haine dans les yeux. Jalouse de sa jeune beauté ou de sa complicité avec son fils ? “Le visage de Michel ressemblait à un commentaire d'un autre monde”. Annabelle croit comprendre Michel en lisant la sonate à Kreutzer. Elle l'aime tout naturellement. C'est comme ça. Mais Michel ne fait rien. Ne dit rien. Alors, son premier baiser, c'est un crétin de discothèque qui lui vole. Elle prend ainsi curieusement conscience de l'existence individuelle, car elle ne partagera pas cette expérience avec ses parents, auxquels elle disait pourtant tout, ni avec Michel. Désormais, elle aura un “sourire plus intérieur”.Elle sera ensuite séduite par David, la rock star aux 500 femmes. Pendant ce temps, Michel ne danse toujours pas. Annabelle avorte. Elle écrit à Michel. Elle fait l'expérience concrète de la liberté. A 40 ans, elle est encore jeune et belle. Et elle pense encore à Michel. Elle est bibliothécaire, non mariée et elle se dit qu'elle n'a pas eu une vie heureuse. Elle subit un deuxième avortement. Elle se sent “sortie du jeu”. Alors, elle mène une vie calme, dénuée de joie. Prend des tranquillisants, des somnifères. Michel qui la retrouve à ce moment-là a un grand respect pour elle, et une immense pitié. Il a besoin d'avoir quelqu'un près de lui. “La vie est restreinte, faite de possibilités très brèves.” Mais elle tombe malade, après un troisième avortement. Pendant quelques semaines, elle a eu le sentiment d'être aimée. Puis elle meurt. Sa mère dit qu'elle était une gentille fille qui ne se plaignait pas. Qui n'avait pas eu la vie qu'elle méritait.

art_paintings1
Annabelle a été un amour possible. Mais elle meurt prématurément. Et elle est de nouveau dans l'œuvre houellebecquienne, l'amour impossible. On voit le début et la fin de sa vie. Au milieu, le temps est passé. Elle n'a pas fait les bonnes rencontres. N'a rien construit. Pourquoi ? Les corps des belles jeunes filles sont source de bonheur et de joie. Hors de la joie et du bonheur, point de salut. Point de vie. Alors, il faut détruire le corps quand il ne sert plus. S'en débarrasser comme un morceau de viande avarié. On lit Houellebecq avec le sentiment d'être en blouse blanche. On dissèque des cadavres. Michel des Particules meurt au moment de délivrer l'humanité de la mort. Ce Christ sans Père dans les Cieux s'est sacrifié, mais n'a pas ressuscité. Annabelle a été ce corps somptueux, cet amour raté, et ce cadavre abandonné, “vidé comme un poulet” par les avortements. Stérile à jamais. Une beauté pour rien. Une vie pour rien. Un amour pour rien. Annabelle a été un être calme. Cultivé sans doute. Elle est une femme issue de la libération sexuelle. Elle a eu des expériences diverses. Elle aurait pu ne pas s'ennuyer. Mais la liberté ne comble pas le vide. Elle donne l'illusion qu'on peut le remplacer. Annabelle est passée à côté de sa vie. Pourquoi ? Si elle avait construit une vie familiale, si elle avait été l'épouse de Michel, la mère de ses gosses ou simplement sa compagne, son soutien, aurait-elle rempli son vide ? On peut penser que oui, dans la mesure où elle accordait beaucoup d'importance à l'amour. Et que son amour, dans l'innocence de sa jeunesse, était tout naturellement tourné vers Michel. Avec une pureté tenace.
Voyez-vous, quand la femme que je suis, lit Houellebecq, elle a le sentiment très fort de la chair. De sa chair. Je me dis que les hommes sont très près du corps. Que leur sexe est infiniment plus encombrant que le mien… Et qu'il doit être difficile pour eux de trouver le repos… Annabelle n'attendait que Michel. Son corps à elle aurait trouvé le repos. Parce que notre sexe à nous ne nous encombre pas… J'ai le sentiment d'un inachèvement masculin. Il manque quelque chose aux hommes, eux qui ont pourtant le sentiment d'avoir quelque chose de plus. De trop, peut-être ? Comment nous comprendre ? Comment nous rejoindre ? Que les hommes débordent en nous de leur trop plein. Et que nous l'accueillions. “Il n'est pas bon que l'homme soit seul” ( Genèse ). Dans le projet biblique du couple, l'un et l'autre s'imbriquent corps et âme, libres mais à deux, seuls mais liés, abandonnés mais recueillis.
Annabelle existe. Ses grands yeux clairs nous regardent tristement. Elle est victime de la libération sexuelle, de la liberté d'avorter, comme d'autres femmes ont été les victimes de l'intolérance et de l'interdiction d'avorter. Le conservatisme sexuel a aliéné les femmes et rendu les hommes pervers, le libéralisme sexuel a aliéné les hommes et laissé les femmes seules.

Dans ce monde-là, le corps, seule source du bonheur, est aussi la chair du malheur.

Publicité
Publicité
Commentaires
le blog pas glop
Publicité
Publicité